Robert Badinter a remis ce lundi à Manuel Valls son rapport sur les grands principes du Code du travail qui devront inspirer la grande réforme que prépare le gouvernement. Mais ces principes ne font que réaffirmer des principes généraux déjà inscrits dans le marbre.
Atlantico: Manuel Valls a déclaré que la réforme du Code du Travail ne remettra pas en cause les 35 heures et retoque ainsi la proposition d’Emmanuel Macron de supprimer le plancher de majoration de 10 % des heures supplémentaires. Que vous inspire cette cacophonie ? Une réforme du Code du travail ne doit-elle pas toucher aux acquis sociaux ?
Christian PERSON: Les 35 heures provoquent une sorte d’anémie. Pour des métiers très qualifiés, dans l’ingénierie, la médecine, dans la recherche, les seules limites qui devraient exister devraient être celles négociées entre l’expert son l’employeur. Un chercheur qui travaille sur une molécule pour lutter contre le cancer ne compte pas ses heures. Par contre, la limitation du temps du travail protège les plus faibles qui ont des emplois moins qualifiés. Il faut en finir avec cette verticalité jacobine qui veut régler les problèmes d’en haut et imposer les mêmes règles du jeu à l’ensemble de la société.
Vous préconisez que la durée normale du travail soit tout simplement fixée par entreprises ou par branches et non par loi.
Mais est-ce possible ? Même dans les pays les plus libéraux comme aux Etats-Unis, ce n’est pas le cas…
Je ne suis pas libéral, je suis juste un entrepreneur, un ancien chômeur, qui plus est ! Pour les salariés les moins qualifiés, il faut garder un cadre rigide et protecteur, poser des limites claires, avec des aménagements à la marge. Mais il ne faut pas se tirer une balle dans le pied ! Si le marché l’exige, si la compétition internationale nous pose une question de vie ou de mort, nous devons pouvoir réagir tous ensemble ! Plus encore, pour les cadres supérieurs, les ingénieurs, les chercheurs, les experts soumis à la concurrence internationale de la Chine, des Etats-Unis, ou même de l’Allemagne, il faut de l’espace, une liberté totale pour s’adapter et gagner !
Les 61 principes fondamentaux de ce rapport préservent les droits des salariés ne revenant ni sur le CDI, ni sur la durée normal du travail ni sur le SMIC. Ce rapport n’est-il pas qu’un simple toilettage ? La réforme du Code du Travail ne doit-elle pas passer par sa réécriture totale ?
Pour le moment, le rapport de Badinter n’apporte rien de nouveau, du moins à court terme, dans l’année qui vient ! Or, avec 6 millions de personnes sans emploi, le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé en France alors que l’Allemagne ou l’Espagne parviennent à créer des centaines de milliers d’emplois. La question est de savoir si la pratique du code du travail ne freinerait pas cette création d’emplois. Une étude de la Sofres montrait que le portage salarial pourrait représenter 80 milliards d’euros par an. Les besoins sont là ! Il existe dans l’économie française une grande quantité potentielle d’emplois mais elle ne se transforme pas en opportunités d’emploi. La rigidité et la complexité du Code du travail, et le coût de la rupture des CDI expliquent cette absence de courroie de transmission entre les besoins et la création d’emplois.
Nous sommes loin du « plan d’urgence » annoncé par François Hollande au Conseil Economique et Social en début d’année. Une fois encore, la montagne accouche d’une souris. C’est encore un rapport qui va finir sur une étagère. Les Français n’attendent plus rien de ce gouvernement qui se trompe d’interlocuteurs pour traiter les probèmes. Robert Badinter est un grand monsieur, cultivé, ancien président du Conseil Constitutionnel, ardent défenseur de la dignité humaine et des grandes valeurs. Mais a-t-il déjà payé une facture? A-t-il déjà embauché un salarié? M.Badinter est le candidat parfait pour présider des grandes organisations internationales qui défendent les droits de l’homme mais il n’est pas franchement légitime pour comprendre la réalité économique d’une PME. Avec tout l’estime qu’il mérite, M.Badinter est hors-sol. Prétendre organiser la vie de millions de citoyens alors qu’on est à l’extérieur des réalités économiques, c’est absurde et incohérent. Le premier droit d’un travailleur, c’est de travailler, ce qui est aujourd’hui un droit inaccessible à plus de 6 M de personnes ! Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas choisi des chefs d’entreprise emblématiques d’une réussite ? Alors certes, en philosophie du droit, il s’agit de refonder les principes et l’architecture du code du travail, c’est important mais c’est un travail qui se fait sur 10 ans, au moins ! Alors qu’aujourd’hui, la lutte contre le chômage est urgence absolue. C’est une urgence sociale aussi grave que la lutte contre le terrorisme ! Aujourd’hui, il y a 800 000 chômeurs de longue durée, les chiffres sont en augmentation et on sait très bien que le chômage de longue durée aboutit à l’exclusion sociale. Et cette urgence là, elle n’est pas traitée.
Que préconisez-vous?
Il faut réécrire le Code du travail, pour qu’il soit plus lisible, certes, mais à très court terme il faut des mesures fortes ! Pourquoi ne pas définir un espace d’expérimentation, une sorte de free zone pour tester ce qui peut fonctionner ou pas. Mais il faut s’attaquer à la face cachée du droit du travail : la protection sociale. Les charges sociales sont directement indexées sur le droit du travail. Il n’y a pas l’un sans l’autre. Pour faire baisser les charges, il faudrait que la protection sociale soit ouverte à tous les vents de la concurrence. Il faudrait mettre en concurrence toutes nos grandes compagnies d’assurance françaises et européennes pour voir quelle serait la meilleure prestation de couverture d’assurance au prix le plus bas. C’est le seul moyen de diminuer massivement les charges et d’augmenter les salaires en même temps !